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Clément Lafaille, gentilhomme et collectionneur rochelais du XVIIIe siècle  (1718-1782) (Charente-Maritime 17)

Par Aurélien Morhain
Vue d'ensemble sur une partie du cabinet d'histoire naturelle de C. Lafaille (photographie MHN LR)
Il n'existe aucune représentation de C. Lafaille

Le présent article vous propose d’aller à la rencontre d’un des personnages les plus emblématiques du paysage scientifique rochelais du XVIIIe siècle, le collectionneur Clément de La Faille, plus connu aujourd’hui sous le nom de Clément Lafaille. Ce gentilhomme du siècle des Lumières, contemporain de Réaumur, Fleuriau de Bellevue et Dezallier d’Argenville, reste célèbre pour son cabinet d’histoire naturelle et les riches collections qu’il légua en 1782 à la ville de La Rochelle. C’est autour de ce noyau de départ que se constituera le muséum d’histoire naturelle que nous connaissons de nos jours. C’est la vie de cet homme et l’œuvre originale qu’il nous a laissée que nous vous invitons à découvrir ci-dessous.

Un "honnête esprit scientifique" du XVIIIe siècle.

Clément de La Faille né à La Rochelle le 16 novembre 1718 dans une famille bourgeoise ; son père exerçait en tant que chirurgien dans cette illustre ville portuaire.  Après des études de droit à Toulouse, il achète une charge de contrôleur des guerres, (charge fondée en 1710 qui consistait à surveiller les intendants militaires et la façon dont ils utilisaient les sommes qui leur étaient allouées), qui lui permet de prendre le titre honorifique d’écuyer dans la noblesse de robe, (titre non transmissible). Les revenus tirés de cette activité, ajoutés à ses rentes personnelles, lui permettent de s’enrichir.

 

Si l’on en croit les quelques sources écrites retrouvées dans les archives de la Société des Sciences Naturelles de La Charente-Maritime, celui-ci bénéficiait de suffisamment de temps libre pour s’adonner à ses grandes passions qu’étaient la conchyliologie, la botanique, la géologie et l’étude faunistique. A l’image de son illustre contemporain René-Antoine Ferchault de Réaumur, ce goût pour les sciences et l’observation de la nature le conduit rapidement à rejoindre l’Académie Royale de la ville, qui rassemble alors les brillants esprits scientifiques de la région. Le 3 février 1751, de La Faille intègre officiellement cette noble assemblée en tant qu’académicien titulaire. Puis il devient successivement second secrétaire (le 27 novembre 1765) et secrétaire perpétuel (le 5 août 1769) de cette même académie.

 

En quelques années Clément de la Faille se retrouve donc au cœur de la vie intellectuelle et scientifique rochelaise et tisse un réseau de correspondances avec d’autres membres d’académies et de sociétés savantes dont le rôle fut prépondérant dans l’avancée des sciences en France : Il était par exemple correspondant de l’Académie des Sciences, membre correspondant de l’Académie impériale d’Augsbourg, de la société de Lunebourg, de la société économique de Berne et des sociétés d’agriculture de Lyon, de Nantes, et d’Angers. Il entretenait également une correspondance avec le fameux Antoine Joseph Dezallier d’Argenville (1685-1765). Il ne fut cependant jamais un grand savant : comme l’écrit Jean Torlais dans la revue d’histoire des sciences et de leurs applications en 1961, celui-ci « fut plus collectionneur que chercheur, plus amateur que savant ce qui arrivait souvent à son époque ». Il laisse toutefois une œuvre intéressante à plus d’un titre et surtout une importante collection d’histoire naturelle rassemblée dans un cabinet qu’il fait réaliser dans les années 1760.

Le cabinet d'histoire naturelle de C. Lafaille MHN de La Rochelle

De La Faille va participer à la vie scientifique française jusqu’à ses 52 ans en 1770, date à laquelle il se retire finalement en raison de l’affaiblissement de ses facultés intellectuelles. Il décède le 4 juin 1782 à l’âge de 64 ans lors d’un voyage à Paris. Il lègue par testament holographe (du 26 novembre 1770) l’ensemble de ses fameuses collections (coquillages, fossiles, animaux naturalisés), son mobilier de rangement, ainsi que sa bibliothèque comprenant 940 volumes à l’Académie Royale de La Rochelle. Il y ajoute une somme de 12000 livres, (une somme conséquente pour l’époque), « pour servir soit à l’augmentation de la bibliothèque, soit à ses autres besoins, à la charge et conditions que ledit cabinet soit ouvert au public une ou deux fois par mois et journellement aux amateurs et aux étrangers ».

 

Cependant, l’exécution testamentaire fut pour le moins compliquée, de La Faille étant mort loin  de La Rochelle en pleine agitation révolutionnaire. Ce n’est finalement qu’en 1805, après bien des péripéties, que l’Académie (qui avait depuis changé de nom), fit valoir tardivement ses droits auprès de la mairie qui valida l’exécution testamentaire. Il ya fort à parier qu’entre temps, certaines pièces de la collection ont eu le temps de disparaître, tout comme le mobilier du cabinet d’histoire naturelle, qui sera éparpillé en 1832 avant d’être, heureusement, retrouvé en totalité. Ce contretemps pourrait aussi expliquer le fait qu’aucun portrait de Clément de La Faille ne nous soit parvenu.

Un homme curieux des "choses de la nature".

Le port de La Rochelle, Vernet Claude Joseph, (1714-1789). A découvrir en détail sur Panoramio.
Conchylliographie de Clément Lafaille

 S’il n’est à l’origine d’aucune découverte majeure, Clément de La Faille  peut être qualifié  « d’honnête esprit scientifique ». Il laisse en effet une œuvre importante, en partie inédite, surtout consacrée aux « choses de la nature » pour lesquelles il avait toujours manifesté de l’émerveillement et une grande curiosité. Il rédigea ainsi de nombreuses notices et mémoires : sur « les coquillages de mer du Pays d’Aunis », en particulier un mémoire sur la pholade, mais aussi sur les différentes espèces d’huîtres, l’origine des macreuses…. Un essai sur l’histoire naturelle des taupes, sur la limace testacée, sur la pyrale (insecte qui attaquait la vigne), sur les moyens de multiplier le fumier… Une œuvre éclectique dont les sujets semblent avoir souvent pour but, d’offrir une solution pratique à des problèmes rencontrés par ses contemporains. Mais de La Faille était surtout reconnu pour ses connaissances en conchyliologie et sur les « pierres figurées » (on ne peut pas encore parler de paléontologie à l’époque), spécialités qui lui valurent d’entretenir des rapports suivis avec le célèbre Dezallier d’Argenville (1723-1796) (ce dernier allant même jusqu’à devenir membre associé de l’Académie Royale de La Rochelle le 26 juillet 1758). Son « essai sur l’histoire des pierres figurées de La Rochelle et du pays d’Aunis » a d’ailleurs été publié par Dezallier d’Argenville dans son « Histoire naturelle éclairée dans l’une de ses parties principales, l’Oryctologie ». (Paris, de Bure, 1775, in 4°, p.389, et pp. 437-442). De La Faille écrivit également sur « les changements arrivés aux côtes de La Rochelle et les fossiles qu’on peut y trouver » ainsi qu’une notice sur « les cornes d’Ammon », (ces fossiles que nous appelons aujourd’hui ammonites).

Le coquillier ventru du cabinet d'histoire naturelle de C. Lafaille

Parmi les fossiles et les roches qu’il découvre et décrit, on retiendra particulièrement  les « grammites », « cailloux veinés dont le hasard organise certains traits en forme de lettres de l’alphabet. Il en tire l’enseignement que les hommes se sont servis de cet « alphabet lapidifique » pour inventer l’écriture ». Cet exemple met en lumière l’esprit scientifique de cet homme qui reste cependant imprégné de survivances du monde de la curiosité.

Un grand collectionneur.

Chaises pliantes ; cabinet d'histoire naturelle, C. Lafaille (MHN LR)

Mais, Clément  de La Faille reste surtout connu aux yeux du grand public comme un fameux collectionneur d’histoire naturelle, à l’origine d’un superbe cabinet, aujourd’hui visible au muséum d’histoire naturelle de La Rochelle. Au XVIIIe siècle, cette ville est un des grands ports du royaume de France et l’un des plus importants concernant la traite négrière. Les relations entre le port de La Rochelle et les Antilles, le Canada et l’Afrique vont permettre à Clément de La Faille de se constituer une collection exotique et hétéroclite, constituée d’objets et d’animaux en tout genre. Il y a fort à penser qu’il devait dépenser de grosses sommes d’argent pour obtenir ces derniers. Les archives locales nous apprennent qu’il achetait ses spécimens directement aux marins sur le port lors du déchargement des marchandises.

 

Si l’on en croit la description de ce cabinet, faite par Dezallier d’Argenville dans la Conchyliologie ou histoire naturelle des coquilles (3e édition, Paris, G. de Bure, 1780, 2 vol. in 4°), celui-ci était « parmi les plus fameux d’Europe touchant l’histoire naturelle » ! L'inventaire de ce dernier, effectué en 1780, peu avant son décès, fait mention d'“animaux rares ou monstrueux conservés dans l'esprit de vin”, de “pétrifications de mer et de terre”, de “dendrites”, de “crocodiles”, de “pierres-figures”, d’un “alphabet lapidique” ainsi que de nombreux coquillages, sans oublier de nombreux animaux (notamment des oiseaux) qui avaient été naturalisés par de La Faille lui-même. Cette collection fut vraisemblablement commencée des les années 1740. Fréquentant les scientifiques de son temps et, en particulier,  Réaumur et Dezallier d’Argenville, celui-ci fut très tôt familiarisé avec la notion de collection. Ces derniers avaient eux-mêmes constitué d’importantes collections d’histoire naturelle qu’ils conservaient dans une pièce ou plus modestement dans un meuble dénommé cabinet d’histoire naturelleRéaumur en particulier, possédait à sa mort en 1757, le plus grand cabinet d’histoire naturelle du royaume de France et l’un des plus grands d’Europe. (Celui-ci fut d’ailleurs intégralement intégré au cabinet du roi, fonds qui viendra constituer les premières collections permanentes du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris).

Tables-vitrines ; cabinet d'histoire naturelle, C. Lafaille (MHN LR)

Suivant les traces de ses illustres contemporains, Clément de La Faille amasse donc petit à petit une immense collection d’histoire naturelle dont le stockage devient rapidement un problème : « après avoir orné la cheminée de sa salle à manger de coquilles, puis consacré une salle du 2e étage de sa maison à ses collections, il en arriva à commander 10 puis finalement 15 grandes armoires « sculptées de bon goût » » afin de conserver ses précieux trésors. C’est en 1766 que de La Faille demande au maître menuisier parisien Pierre Brisson la construction de ces vitrines. Mais celui-ci fut contraint de déléguer ce travail à un compagnon, Antoine Ferréol qui en réalisa le dessin : il est intéressant de noter que les archives locales parlent d’un travail « sans grande finesse ». Si les plans de ces vitrines murales semblent attribués à Ferréol, il reste cependant impossible d’affirmer que c’est bien lui qui l’exécuta.

 

Ces hautes vitrines murales aux larges ouvertures vitrées se caractérisent par leur mélange de styles : le travail des portes se veut résolument de style Louis XV, tandis que des pilastres cannelés, coiffés de chapiteaux ioniques et une corniche supérieure surmontant l’ensemble, se veulent plus volontiers d’inspiration antique. Entre chaque vitrine ont été disposés des trophées (il y en a quatre au total), compositions à but esthétique, richement décorés : coquillages et coraux, animaux exotiques (ammonite, homard, tortue marine, éléphant, oiseaux tropicaux, serpents…), fruits et motifs végétaux. L’ensemble met en avant l’identité voulue pour cette pièce. Un style qui devait être très original pour l’époque.

Trophées décoratifs ; cabinet d'histoire naturelle, C. Lafaille (MHN LR)

Ce mobilier mural est complété par un ensemble de meubles aux styles tout aussi éclectiques. Nous commencerons par citer les douze tables-vitrines atypiques réalisées par le célèbre Claude Charles Saunier. Réalisées dans un style typiquement Louis XVI, chacune de ces tables possède une vitrine-tiroir coulissante sur fond de satin bleuté, permettant de dissimuler si besoin, leur contenu. Nous trouvons également six sièges tout aussi singuliers de Mathieu Bauve, réalisés dans un style Louis XV dont le dossier peut ingénieusement se replier sur l’assise, permettant ainsi de les glisser sous les tables-vitrines. Ce cabinet compte également un curieux petit meuble dont la fonction nous est inconnue : il s’agit d’une petite armoire ou d’un petit secrétaire sur pieds, pourvu de deux portes pleines au décor végétal, surmonté d’un « toit » à deux pentes. L’ensemble évoque fortement un temple grec, le tout mélangeant là encore style Louis XVI et décors antiques. Ce mobilier compte enfin un imposant coquillier ventru en acajou (un bois exotique et précieux pour l’époque) muni de nombreux tiroirs dont la partie supérieure est occupée par une grande vitrine sur fond satiné bleu. Malgré ces différences de style, ce mobilier forme un ensemble visuellement cohérent et harmonieux grâce à un même code couleur, réalisé dans des tons rouge-corail (pour les éléments décoratifs) sur fond ivoire cassé.

En 1805, suite à la récupération du leg de C. de La Faille par la toute nouvelle Académie des sciences de La Rochelle, le mobilier de ce cabinet fut démonté puis installé dans une maison contiguë à l'Hôtel de Ville et devint, conformément aux souhaits de son généreux donateur, un musée ouvert au public.

 

Un nouveau transfert eut lieu en 1832 dans l'Hôtel du Gouvernement, afin d’installer dans un même lieu le cabinet d’histoire naturelle et les riches collections qui s'étaient développées autour de ce noyau d'origine. Au cours du XIXe siècle, l’intégralité du mobilier fut repeint en gris et chocolat, faisant disparaitre le magnifique rouge-corail d’origine. Pire, les meubles furent séparés des vitrines murales ! Fort heureusement, tout fut récupéré et finalement réinstallé dans une salle située au rez-de-chaussée de l’actuel muséum d’histoire naturelle de la ville. Pour finir, l’ensemble du cabinet a récemment été intégralement restauré par l’ébéniste Dominique Chaussat, rendant au plus ancien cabinet d’histoire naturelle de France son éclat d’origine.

Remerciements : nous tenons à remercier Damien Gendry pour son aide à la recherche de sources documentaires.  

Pour aller plus loin.

 

 

Consultez ci-après notre article consacré au muséum d’histoire naturelle de La Rochelle : cliquez ici.

 

Consultez ci-après notre article consacré à l’exposition temporaire « De la curiosité à la science, les fossiles et les cabinets d'histoire naturelle au XVIIIe siècle », qui propose de plonger dans l’univers scientifique du XVIIIe siècle et de suivre l’évolution des cabinets de curiosités à travers le temps : cliquez ici.

 

 

Consultez ci-après notre article consacré au naturaliste rochelais du XVIIIe siècle Louis Benjamin Fleuriau de Bellevue : cliquez ici.

Orientations bibliographiques.

- Dezallier d’Argenville Antoine Joseph, « Histoire naturelle éclairée dans l’une de ses parties principales, l’Oryctologie », Paris, de Bure, 1775, in 4°, p.389, et pp. 437-442.

 

- Dezallier d’Argenville Antoine Joseph, « Conchyliologie ou histoire naturelle des coquilles », 3e édition, Paris, G. de Bure, 1780, 2 vol. in 4°.

 

- Torlais Jean, l'Académie de La Rochelle et la diffusion des sciences au XVIIIe siècle, Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, année 1959, volume 12.

 

- Pinault-Strensen Madeleine, "Dezallier d'Argenville, l'encyclopédie et la conchyliologie", Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, année 1998, volume 24, numéro 24 PP; 101-148.

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