Surmontant les derniers niveaux oxfordiens, le Kimméridgien (-155,7 ± 4 à -150,8 ± 4 millions d'années) constitue l’avant-dernière subdivision du Jurassique et doit son nom au naturaliste Alcide Dessalines d’Orbigny (1802 - 1857) qui le baptise ainsi en 1849, en référence aux affleurements de la petite ville littorale de Kimmeridge, dans le Dorset, en Grande-Bretagne. Il est toutefois intéressant de noter que, bien qu’ayant choisi en Angleterre le site de référence du Kimméridgien, Alcide d’Orbigny a cependant rendu hommage aux Charentes en donnant à deux subdivisions de cet étage géologique des noms d’ammonites faisant référence à des localités charentaises : la première biozone est ainsi baptisée zone à Rupellense (Paraspidoceras rupellensis) faisant ainsi écho à l’ancien nom de la ville de La Rochelle, « Rupella » ; tandis que la dernière sous-zone du membre inférieur de cet étage est baptisée sous-zone à Chatelaillonensis (Rasenioides chatelaillonensis), faisant écho à l’antique commune de Chatelaillon-plage. (Néraudeau & al. 2013).
De façon générale, le kimméridgien reste relativement bien accessible dans le grand Ouest français : il est principalement visible sur la côte atlantique au niveau des Charentes, selon une bande principale allant de La Rochelle jusqu’à la marge sud orientale d’Angoulême, et dans une moindre mesure, au niveau du Seuil du Poitou, dans les Deux-Sèvres, la Vendée, et jusque dans la Vienne et la Dordogne occidentale. Dans les Charentes, il se compose exclusivement de sédiments d’origine marine et couvre un vaste territoire : sur le département de la Charente, celui-ci occupe une grande partie de l’Angoumois, jusqu'à la vallée de l'Échelle à l'ouest et jusqu'au sud d'Angoulême ; en Charente-Maritime, il couvre l'essentiel du nord (depuis Yves au sud, jusqu'à Marans au nord) et de l'est (région de Muron-Surgères). Le littoral charentais présente en particulier de très beaux affleurements littoraux qui permettent de suivre en partie la stratigraphie du Kimméridgien. De manière générale, ce niveau géologique, qui occupe les points bas du relief, (contrastant avec les buttes, les collines et les autres hauteurs constituées de roches crétacées plus récentes), est d’une étonnante richesse en restes fossiles (échinodermes, vertébrés marins, ammonites et mollusques divers), remarquablement bien conservés.
Le Kimméridgien charentais, dans son ensemble, constitue une série sédimentaire très développée (plus de 300 m) mais discontinue. Hantzpergue (1989) relève 13 discontinuités sédimentaires rigoureusement situées dans l’échelle biostratigraphique d’ammonites reproduite ci-dessus. Ces discontinuités mettent en évidence une interruption de la sédimentation, une érosion ou une dissolution des dépôts. Elles correspondent soit à des mouvements tectoniques plus ou moins récents, soit à d’importantes modifications de l’environnement marin (régressions, transgressions). Malgré tout, de grandes portions de ce niveau sont accessibles dans les Charentes, notamment sur le littoral où se trouvent des falaises de faible hauteur (ex : falaises d’Angoulins, des Chirats et d'Yves ou encore l'estran de Chatelaillon-plage et son ancienne falaise), mais aussi dans les terrains de l’arrière-pays charentais, grâce à d’anciennes carrières et de grandes zones d’exploitations agricoles (ex : carrières des Gauchons (16), des Varennes (16), de Mornac (16), d’Ardillères (17), du petit Agère (17), de Voutron (17)…).
Contexte stratigraphique.
Le Kimméridgien est divisé en deux sous-étages, le Kimméridgien inférieur d’une part et le Kimméridgien supérieur d’autre part, et l’ensemble se trouve subdivisé en 5 biozones, toutes représentées au sein des affleurements charentais. De façon générale, le Kimméridgien local se caractérise par une forte teneur en carbonates liée au développement progressif d’une sédimentation à cachet récifal. On observe ainsi deux grands types de sédimentation : des dépôts de plateformes à dominante argilo-marneuse (faciès virguliens) ; des dépôts localement péri-récifaux et récifaux (constructions lenticulaires à biohermes) établis sur des zones de hauts-fonds (Hantzpergue, 1979).
Le Kimméridgien inférieur : celui-ci est subdivisé en deux biozones, (biozone à Rupellense et biozone à Cymodoce) et en 4 sous-zones (sous-zone à Rupellens, sous-zone à Cymodoce, sous-zone à Achilles, sous-zone à Chatelaillonensis). Ces quatre sous-zones décrivent des faciès différents, correspondant à de grands changements dans les environnements marins qui se sont succédés.
Le Kimméridgien basal : sous-zones à Rupellense et Cymodoce.
Les sous-zones à Rupellense et Cymodoce ne sont particulièrement visibles que dans le nord de la Charente-Maritime : elles se localisent de l’île de Ré à l’ouest, à Benon à l’est ; de Vérine au nord, à Surgères au sud. A noter, cette sous-zone a été marquée par une forte activité tectonique et on relève de nombreuses failles, diaclases et plis, rendant difficile par endroit, la lecture des couches sédimentaires. Cette période constitue une étape transitoire, marquée par un passage progressif d'un milieu franchement océanique à un milieu de hauts-fonds qui acquiert progressivement, à partir de la sous-zone sus-jacente, (sous-zone à Achilles), un caractère récifal.
La sous-zone à Rupellense.
Ci-contre : Vue rapprochée de l'agencement des couches géologiques au sein des affleurements de la Pointe de la Repentie à La Rochelle.
Légende :
Flèche- second banc repère à Thalassinoïdes ;
1- banc marneux surmontant le premier banc repère à Thalassinoïdes ;
2- bancs calcaires et argileux, bleutés à beiges, plus ou moins compactes ;
3- niveau marneux à calcaires argileux
La sous-zone débute avec un banc repère caractéristique à Thalassinoïdes (discontinuité D1), composé de calcaires à grains fins, bioclastiques, répartis en bancs massifs d’une épaisseur moyenne de 60 centimètres. Ce niveau est parsemé de pistes et de terriers indurés d’arthropodes et renferme quantité d’organismes fossiles dont de nombreux térébratules. Il s’agit du stratum typicum de l’ammonite de zone Paraspidoceras rupellense. Ce banc affleure par intermittence depuis l’estran de la Pointe Saint-Clément, à l’anse de la Maréchale (au pied du pont de l’île de Ré). Succédant à ce banc repère, un ensemble de bancs calcaires marneux et argileux, bleutés à beiges, plus ou moins compactes se développent sur 16 mètres environs. C’est un niveau très pauvre en organismes fossiles. Au-dessus, on trouve un niveau très marneux et des calcaires argileux, entrecoupés par des bancs décimétriques de calcaire à grain fin. La sous-zone à Rupellense s’arrête brusquement par une discontinuité sédimentaire (D2).
Les niveaux de cette sous-zone sont donc particulièrement bien exposés sur le littoral au nord de La Rochelle, depuis l’estran de la Pelle (commune de
Marsilly) jusqu’à la Pointe de Chef de Baie, (commune de La Pallice). A noter, les niveaux de cette sous-zone apparaissent périodiquement dans
l’île de Ré, sur les estrans comme en falaise, entre La Couarde et la Flotte, sur la côte nord ; et entre le
Bois-plage
et la pointe de Chauveau sur la côte sud.
Ces couches sont relativement pauvres en matériel fossile : les ammonites sont rares dans ces niveaux, de même que les mollusques et les
échinodermes.
La sous-zone à Cymodoce.
Ci-contre : Vue rapprochée de l'agencement des couches géologiques au sein des affleurements situés entre la Flotte et Saint-Martin, sur l'île de Ré.
Légende :
Flèche- second banc repère à Thalassinoïdes
1- second banc repère à Thalassinoides
2- calcaires à grain fin à intercalations sublithographiques
3- calcaires à grain fin fortement bioclastiques
Elle débute par un second banc repère à Thalassinoides, (nombreux terriers et terebratules là-aussi) composé de calcaires à grain fin de couleur beige d’une épaisseur moyenne de 80 centimètres. Au-dessus, on trouve deux niveaux de calcaires à grain fin peu développés : le premier d’une épaisseur moyenne de 2 mètres, se caractérise par des intercalations sublithographiques, le second d’une épaisseur moyenne de 10 mètres, est fortement bioclastique. La sous-zone à Cymodoce se termine par un niveau d’une épaisseur moyenne de 30 mètres, composé de bancs calcaires à grain fin de couleur beige, entrecoupés par de minces passées marneuses. Ce niveau correspond au stratum typicum de Rasenia cymodoce.
Les niveaux de cette sous-zone sont particulièrement bien exposés au sein des affleurements du Plomb (commune de L’houmeau) et de la Fertalière, mais une grande partie de ces niveaux est observable jusqu’à l'anse de la Maréchale. On retrouve également une partie des niveaux de cette sous-zone dans l’île de Ré, sur les estrans entre le Bois-plage au nord et la pointe de Chauveau au sud. A noter, on retrouve le niveau terminal de cette sous-zone au sein des affleurements de la falaise des Minimes, au sud de La Rochelle. Ces couches sont relativement pauvres en matériel fossile : les ammonites sont rares dans ces niveaux, de même que les mollusques et les échinodermes.
Le Kimméridgien inférieur moyen : biozone à Cymodoce, sous-zone à Achilles.
Les terrains appartenant à la sous-zone à Achilles sont très importants en Charentes : ils représentent une centaine de mètres d’épaisseur environ. Ces niveaux débutent au dessus de la discontinuité D2, et se caractérisent dans un premier temps par des calcaires à grain fin, parfois sublithographiques, à Nerinae et Montlivaltia. Ce niveau périrécifal renferme de nombreuses lentilles bioclastiques riches en organismes fossiles et possède une épaisseur moyenne de 15 mètres. Ces niveaux sont visibles sur la côte rochelaise depuis le havre de La Rochelle, jusqu’à la Pointe du Roux (commune d’Aytré) ainsi qu’en Charente dans les coupes de terrains de plusieurs carrières. Ensuite, se développent des calcaires bioturbés à grain fin en bancs de 30 cm, entrecoupés de passées argileuses et lentilles calcaires lithographiques. Ce niveau affleure à partir de la Pointe du Roux (commune d’Aytré) et renferme une faune peu abondante encore dominée par des Nérinea et Montlivaltia, associées à de rares Périsphinctidae, (Lithacosphinctes achilles, Physodoceras altense). Ce niveau possède une épaisseur relativement constante de 17 m, avant de s’interrompre brusquement par une surface usée, (discontinuité D3).
Au-dessus, se développent d'imposantes formations lenticulaires à caractère récifal, dont de grandes portions sont accessibles dans l’île de Ré (de la pointe de la Couarde au phare des baleines (péri-récifal)), sur la commune d’Angoulins/mer, avec les falaises de la Pointe du Chay, des Chirats et de la Motte Greney, mais aussi dans les anciennes carrières d'Ardillères (lieu-dit les Pierrières) et du Thou, sans oublier les alentours des communes de Muron, Surgères et Saint-Germain de Marencennes. Globalement, le caractère récifal de ces formations s’estompe d’ouest en est : en Charente-Maritime, les affleurements littoraux d'Angoulins permettent l'accès à deux premiers épisodes récifaux. Un troisième épisode, observable depuis Aulany et jusqu’à l’est d’Angoulême, est installé sur la faille de l’Échelle (forêt de Bois-Blanc). Ces couches sont extrêmement riches en fossiles divers : mollusques, échinodermes, restes de vertébrés et de crustacés… Les ammonites sont rares.
Le Kimméridgien inférieur terminal : biozone à Cymodoce, sous-zone à Chatelaillonensis.
La sous-zone à Chatelaillonensis tient son nom de la petite commune littorale de Châtelaillon-plage qui montrait jusque dans les années soixante dix, une falaise exposant une grande partie de la série. Les terrains appartenant à cette sous-zone se développent entre les deux discontinuités sédimentaires D5 et D7, (Hantzpergue, 1989). En Charente-Maritime on les rencontre sur une langue de terre très étroite qui s'étend de Chatelaillon-plage à l'ouest à Aulnay de Saintonge à l'Est ; d’Angoulins/mer au nord à Yves au sud. Les anciennes carrières de Voutron et du Petit-Agère en particulier permettaient jusque dans les années 90 de suivre la fin de la série tandis que l’estran de Chatelaillon-Les Boucholeurs permet encore aujourd’hui l’accès aux dépôts du membre inférieur de la série. A noter : les dépôts basaux et terminaux de la sous-zone sont manquants en Charente-Maritime. En Charente, ceux-ci sont localisés dans la vallée de la Touvre (nord-est d’Angoulême) et dans la région de Mornac. Ce sont donc des terrains difficilement accessibles à la prospection et à l'étude : les carrières de Mornac, des Varennes et des Gauchons permettent de suivre une grande partie de la série. Cette période constitue une étape transitoire, marquée par un passage progressif de milieux proximaux (récifaux par endroits), à des milieux franchement océaniques à partir de la sous-zone sus-jacente, (sous-zone à Mutabilis, biozone à Mutabilis du Kimméridgien supérieur).
La sous-zone dans son ensemble, est marquée par une sédimentation de plus en plus marneuse. Ces dépôts sont les plus importants au sein du Kimmeridgien Inférieur : ils se caractérisent par une alternance de bancs de calcaires plus ou moins marneux mous ou indurés. Ils sont bleus/noirs dans les niveaux basaux, bruns/jaunes dans les niveaux supérieurs. Ces marnes s'arrêtent brusquement avec la discontinuité D6, qui marque le passage à des niveaux à calcaires oolithiques, à stratification entrecroisée, puis à des calcaires argileux blancs finement détritiques et fossilifères (Nanogyra et moules internes de lamellibranches). Ces couches sont relativement riches en fossiles divers : mollusques, échinodermes, restes de vertébrés et de crustacés… Les ammonites restent peu courantes.