au musée d'Angoulême (du 06/06/2014 au 05/01/2015) et au muséum d'histoire naturelle de La Rochelle (du 18 avril au 31 octobre 2015).
Par Aurélien Morhain et Romain Houssineau.
Le musée de la ville d’Angoulême et le muséum d’histoire naturelle de La Rochelle vous proposent une exposition temporaire itinérante intitulée « De la curiosité à la science, les fossiles et les cabinets d’histoire naturelle au XVIIIe siècle ». Celle-ci est actuellement visible au musée d’Angoulême (du 6 juin 2014 au 5 janvier 2015), et sera ensuite installée dans les locaux du muséum d’histoire naturelle de La Rochelle courant 2015. Une belle initiative que l’on doit une nouvelle fois au passionné de paléontologie et collectionneur charentais Éric Dépré, (avec le concours de deux autres passionnés Thierry Lenglet et Philippe Nicolleau), et dont la réalisation a été rendue possible grâce aux équipes du musée d’Angoulême et du muséum d’histoire naturelle de La Rochelle.
A travers cette reconstitution d’un « cabinet d’histoire naturelle », cette exposition propose au visiteur de découvrir l’histoire des origines de la paléontologie et sa place dans l’évolution des idées au siècle des Lumières : au fil de sa visite, le visiteur est en effet invité à revenir sur les différentes étapes qui ont marqué l’évolution des sciences de la nature à partir du XVIIIe siècle et en particulier, notre rapport à ces étonnants témoins du passé que sont les fossiles. Cette exposition est également l’occasion de mieux comprendre la genèse de la démarche scientifique ayant progressivement abouti à l’invention de la notion de Musée telle que nous la concevons encore aujourd’hui. Agrémentée de spécimens fossiles remarquables et de nombreux panneaux didactiques, cette exposition ravira petits et grands en quête d’émerveillement et de savoirs naturalistes.
Un voyage aux origines de la paléontologie.
Cette exposition est avant tout conçue dans le but de plonger le visiteur du XXIe siècle dans l’univers souvent méconnu des « cabinets d’histoire naturelle » du XVIIIe siècle, ces lointains « ancêtres » de nos muséums d’histoire naturelle qui n’apparaitront qu’au siècle suivant. Mais pourquoi le XVIIIe siècle me direz-vous ? Car en effet, les cabinets de curiosités dans leur sens large, sont apparus en Europe dès le XVIe siècle, à la Renaissance.
Le XVIIIe siècle, le siècle des lumières, de la Révolution intellectuelle et politique, de la libération des entraves religieuses est également celui du progrès des sciences. Il marque une étape décisive dans l’évolution de ce type de collections. Jusqu’au XVIIIe siècle, ces cabinets sont des « cabinets de curiosités » consistant en une accumulation d’objets hétéroclites aux origines très diverses rassemblés sans ordre, représentant les trois règnes : animal, végétal et minéral. Le but du cabinet est alors de permettre une compréhension du monde à travers sa diversité et sa bizarrerie. Avec le développement des grandes explorations et la découverte de nouveaux continents, on se met à collectionner les curiosités en provenance de ces lieux exotiques. Ces collections incroyables (pour l’homme du XVIIIe siècle) sont alors constituées par des aristocrates, des marchands et des intellectuels. Ils revêtent deux fonctions : ils répondent avant tout à une véritable mode, servant de faire-valoir à leurs propriétaires et constituent également des lieux d’études pour les savants.
A partir du XVIIIe siècle, bien qu'ils demeurent volontiers l’apanage des riches et des puissants, ces cabinets changent progressivement de forme, au fur et à mesure de l’émancipation des idées scientifiques et des progrès qui en ont découlés. Dorénavant, la nature n'est plus une puissance occulte, inaccessible à la raison ; elle devient un ensemble de lois qui régissent un univers ordonné et intelligible. On assiste donc à une généralisation de l'attitude scientifique : les collections de ces cabinets se structurent, sont peu à peu classées selon des critères rigoureux, puis finalement regroupées par discipline. C’est la naissance des cabinets d’histoire naturelle.
Cet idéal de classification et d’ordonnancement du monde mène l’homme du XVIIIe siècle à tenter de maîtriser la Nature. Celle-ci est comme domestiquée, canalisée, contrainte par l’homme qui l’agence selon son bon vouloir. Le plus bel exemple de cette volonté est sans nul doute l’invention des fameux jardins à la française qui font alors l’admiration de nos voisins européens. On retrouve ainsi cette même exigence dans la présentation des cabinets d’histoire naturelle de la première moitié du XVIIIe siècle : « loin de la pièce close remplie d’un sombre capharnaüm, le cabinet d’histoire naturelle est une enfilade de salons amples et élégants où s’alignent des armoires dont les boiseries sont ornementées de sculptures en rapport avec le contenu. » Et pour répondre au bon goût de l’époque, les objets présentés dans les différentes vitrines sont agencés selon des motifs géométriques rappelant les plans d’organisation des fameux jardins de Le Nôtre. Certains spécimens exposés étaient même travaillés afin de, pensait-on, les magnifier.
Ci-dessus, quelques ammonites visibles lors de cette exposition. (Photographies A. Morhain et R. Houssineau).
L’un des objectifs de l’exposition est donc d’abord de rendre compte de ces évolutions : après avoir traversé un petit vestibule à l’éclairage tamisé et aux murs parsemés de citations d’illustres naturalistes du XVIIIe siècle, nous parvenons dans une première salle d’exposition expliquant au visiteur l’avènement du concept de « cabinet de curiosité » puis sa progressive mutation en « cabinet d’histoire naturelle ». Les objets (coquillages et fossiles) exposés dans des vitrines pastichant les meubles de présentation de l’époque, y sont répartis géométriquement pour former de véritables parterres de coquilles. Parmi ceux-ci, on remarque également quelques spécimens fossiles bien connus aujourd’hui mais dont l’interprétation a souvent prêté à confusion au cours de l’Époque Moderne comme par exemple, une éponge issue des marnes oxfordiennes du Poitou, qui ressemble à s’y méprendre à un champignon pétrifié, ou encore une ammonite jurassique dont la coquille involute a été terminée par une tête de serpent façonnée… Autant de restes d’organismes qui furent d’abord mal compris. Ces erreurs de détermination et d’interprétation, qui prêtent immanquablement à sourire aujourd’hui, mettent en lumière le questionnement intense et les nombreuses controverses qu’ont provoqués ces fossiles durant des siècles et qui ont donné lieu à de nombreuses suppositions quant à leur origine, leur nature et leur processus de création.
L’exposition aborde donc brièvement les différentes théories et suppositions avancées pour expliquer la nature des fossiles : l’idée d’une vertu germinative de la Terre, (théorie née sous la plume d’Aristote durant l’Antiquité puis reprise à partir du Moyen-âge), l’idée de « jouets » naturels résultant de l’action de forces surnaturelles ou encore la théorie du « suc lapidificateur »… Au XVIIIe siècle, l’une de ces théories finira par s’imposer et s’érigera en tant que science : il s’agit de l’oryctologie. Perdurant pendant toute la première moitié de ce siècle, l’oryctologie (du grec oruktos, minéral, fossile, roche), était la science traitant de tous les éléments rocheux extraits du sol au rang desquels on trouvait « les pierres figurées » désignant des pierres évoquant des formes animales et végétales ; l’équivalent de nos fossiles modernes. L’homme du XVIIIe siècle reconnait donc progressivement dans les fossiles les restes d’animaux et de végétaux enfouis et un recours simultané à la foi et à la Raison va permettre de leur donner une existence légitime aux yeux de l’Église. Ceux-ci seront d’ailleurs rapidement considérés comme les preuves empiriques de la véracité du Déluge biblique.
Dans cette première salle d’exposition, on trouve enfin une vitrine consacrée aux spécimens composites et aux contrefaçons qui ont marqué dès leur origine, ces types de collections privées ; problème récurrent et intemporel encore bien présent de nos jours ! Des Iconolithes de Béringer, au XVIIIe siècle, aux faux trilobites marocains des XXe et XXIe siècles, la liste est longue…. !
Ci-dessus, quelques arthropodes fossiles visibles lors de cette exposition. (Photographies A. Morhain et R. Houssineau).
L'esprit des Lumières : des collections à caractère encyclopédique.
Le circuit de visite se poursuit par deux autres salles richement pourvues en fossiles : de section carrée, ces dernières sont intégralement tapissées de vitrines murales dans lesquelles sont présentés les différents spécimens. Ceux-ci sont répartis en 9 « chapitres », respectant un classement par familles : les végétaux, les madrépores, les échinodermes, les céphalopodes, les gastéropodes, les lamellibranches et brachiopodes, les arthropodes, les poissons et les reptiles. Parmi les fossiles exposés, nous retiendrons particulièrement certains spécimens remarquables tels que : des ammonites déroulées de grande taille provenant du Barrémien du Maroc, une belle série d'arthropodes et d'échinodermes, ainsi que de très beaux poissons du Crétacé du Brésil. Des reproductions de planches originales du XVIIIe siècle viennent agrémenter cette présentation, accompagnées de textes expliquant l’histoire de la découverte et de l'interprétation de chaque groupe. Pour ne pas interférer sur l'esthétique de la présentation, les explications et illustrations scientifiques actuelles ont été éditées en livrets d'accompagnement et sous forme d'un fac-similé d'ouvrage ancien (au format de l'Encyclopédie de Diderot et d’Alembert) installés sur un lutrin devant chaque vitrine. Au centre de chaque salle, on remarque également des espaces géométriques rappelant des parterres de buis, à l’intérieur desquels sont disposés des fossiles de grande taille : ammonites, crâne de Mosasaure, crâne et carapace de tortue…
La présentation des collections au sein de ces salles se veut en rupture avec celle de l’entrée : on ne trouve plus ici de spécimens appartenant aux règnes animal et végétal actuels ; les collections sont uniquement composées de fossiles présentés selon des critères rigoureux sans disposition géométrique, l’objectif étant de mettre en lumière la mutation des cabinets d’histoire naturelle qui caractérise la seconde moitié du siècle : on assiste a une spécialisation des collections et à une disposition plus rationnelle de leur présentation. Un bel et rare exemple de ce type de cabinet est encore visible de nos jours au muséum d’histoire naturelle de La Rochelle : il s’agit du cabinet d’histoire naturelle de Clément Lafaille. Pour en savoir plus, consultez ci-après notre article complet consacré à ce cabinet : cliquez ici (bientôt disponible).
Ci-dessus, quelques échinodermes fossiles visibles lors de cette exposition. (Photographies A. Morhain et R. Houssineau).
Cette évolution dans la façon de présenter les collections d’histoire naturelle est à mettre en relation avec l’essor scientifique qui caractérise la seconde moitié du siècle. L’exposition aborde dans ces deux salles les travaux fondamentaux de Georges Louis de Buffon, intendant au jardin du roi, qui publie deux ouvrages importants, Théorie de la Terre en 1749 et Époques de la Nature en 1778, dans lesquels il commence à sensibiliser ses lecteurs à l’idée de l’immensité de la durée des temps géologiques et à la notion d’espèces successivement différentes. Les idées de Buffon et d’autres naturalistes vont progressivement faire disparaitre le surnaturel et le religieux du domaine scientifique.
Jouissant d’une liberté nouvelle, les scientifiques européens vont ainsi permettre de grandes avancées dans la compréhension des fossiles et de l’histoire de la Terre. Un contemporain de Buffon, le suédois Carl von Linné va préciser la notion de genre et d’espèce et créer la « nomenclature binominale » qui consiste à nommer chaque sorte d’organisme vivant ou chaque sorte de fossile d’un nom de genre suivi d’un nom d’espèce. Cette classification appelée aujourd’hui « systématique » s’utilise au niveau international. Ces avancées majeures signent l’acte de naissance de la paléontologie en tant que discipline scientifique, et ouvrent la voie à des générations de brillants naturalistes qui donneront ses lettres de noblesse à cette science à partir du XIXe siècle !
Une collection privée s'invite au musée.
La présente exposition a été rendue possible grâce au collectionneur charentais Éric Dépré. Cet homme, dont nous avons déjà parlé dans quelques-uns de nos articles (La collection d'Éric Dépré), est ce qu’on pourrait qualifier de fouilleur-collectionneur. Eric est avant tout un passionné de paléontologie locale : ses découvertes les plus intéressantes, il les a réalisées en Charente-Maritime, non loin de sa commune de résidence. Sa patience et sa détermination lui ont permis de mettre au jour de nombreux fossiles d’un grand intérêt pour les scientifiques, avec lesquels il collabore occasionnellement. Eric s’investit aussi beaucoup pour la promotion de la paléontologie auprès du grand public : par le passé celui-ci a participé à l’élaboration de conférences et de courts-métrages sur le thème de la paléontologie ; il met également sa collection à la disposition des institutions et musées locaux, permettant la mise en place d’expositions temporaires à but pédagogique. On lui doit par exemple l’exposition temporaire "Voyage dans le temps" (organisée au Museum d’histoire naturelle de La Rochelle en 2009), « Poissons Fossiles » (qui s’est tenue dans le hall de l’aquarium de La Rochelle en 2010) ou encore « Ammonites, traces de vie chef d’œuvres du temps » (présentée dans le hall de l’aquarium en 2012).
Pour cette exposition, Eric présente 110 spécimens issus de sa collection personnelle auxquels s’ajoutent quelques fossiles remarquables issus des collections du musée d’Angoulême et de deux autres passionnés locaux (6 spécimens). Il s’agit de Thierry Lenglet (dont le nom reste attaché à la découverte du gisement paléontologique de Cherves-Chamblanc) et de Philippe Nicolleau (dont l’expérience et l’expertise sont reconnues en matière d’échinodermes fossiles), tous deux originaires de la région. Le résultat en est une exposition intéressante à plus d’un titre, « contentant, en une même opération, l'esthète, l'amateur et le pédagogue, rejoignant ainsi la définition du cabinet rédigé par Daubenton dans l'Encyclopédie. »
Ci-dessus, quelques autres fossiles visibles lors de cette exposition. (Photographies A. Morhain et R. Houssineau).
L'exposition en chiffres.
Budget/Dépenses
· Scénographie : 10 500 €
· Matériel scénographique : (éclairage, peinture, vitrines...) : 8 000 €
· Communication (affiches, calicots) : 2 500 €
· Conception et impression des livrets pédagogiques : 1 500 €
· Traiteur vernissage : 500 €
Budget/Recettes
· Angoulême : 7 500 €
· La Rochelle : 4 000 €
· Région : 11 500 €
Remerciements : les auteurs tiennent à remercier Eric Dépré et JF Tournepiche pour leur disponibilité et leur aide documentaire.
Pour aller plus loin.
Consultez ci-après notre article consacré à Clément de La Faille et à son cabinet d’histoire naturelle : cliquez ici.
Le site-web de la bibliothèque du centre Pompidou à Paris vous propose un bel article intitulé « le cabinet de curiosité d’hier et d’aujourd’hui » : cliquez ici
Le site-web de la ville d'Angoulême propose des albums-photos de l'exposition : cliquez ici
Un site-web sur les cabinets de curiosités : Curiositas, les cabinets de curiosité en Europe
Orientations bibliographiques.
Un ouvrage téléchargeable sur l’oryctologie : « L'histoire naturelle éclaircie dans une de ses parties principales,
l'oryctologie », par Dézallier d'Argenville, A.-J ; 1755 : cliquez ici
Un ouvrage : "Les fossiles, empreinte des mondes disparus", par Gayrard-Valy Yvette et Thomas Herbert, éditions Gallimard, coll. sciences et techniques, 2000. (Un
livre qui aborde de façon ludique et abordable l'histoire de l'invention de la paléontologie).
Un ouvrage : « 1740 un abrégé du monde, savoirs et collections autour de Dezallier d'Argenville », sous dir. Lafont Anne ; Fage 2012. (L'ouvrage traite des modalités de présentation des objets naturels et artificiels au sein des cabinets de curiosités, des relations entre les marchands et les collectionneurs de coquillages, estampes, tableaux, dessins, et des systèmes de classification en vigueur au temps de l'Encyclopédie et de Linné...)
Un ouvrage : "Cabinets de curiosités, la passion de la collection", Davenne Christine ; La Martinière, 2011. (A la Renaissance, les cabinets de curiosités abritaient d'immenses collections. Ces accumulations d'objets oscillaient alors entre l'affirmation de la toute puissance de l'homme et celle de sa vanité. Classées, ordonnées, organisées, ces collections ont finalement été regroupées par discipline pour donner naissance aux musées. Aujourd'hui, les cabinets de curiosités restent une source d'inspiration importante pour l'art contemporain).
Une bibliographie complète au format pdf sur le thème des cabinets de curiosités, proposée par la bibliothèque du centre Pompidou : cliquez ici